De la collecte à l’upcycling du textile – Rencontre avec Nathanaëlle (2/3)

Le Relais Gironde reçoit 20 tonnes de textile par jour, uniquement pour la Région Nouvelle-Aquitaine – © illustation -collage @Miley.Cyroc
Suite de notre échange avec Nathanaëlle Pineau (voir article précédent & suivant), qui accompagne les entrepreneurs qui souhaitent s’engager à côté du Relais et ainsi participer à la valorisation de tous les déchets textiles que nous produisons. Lisez, ça vous donnera plein d’idées pour vos projets !

[Rue des Pinsons – RDP] On a des vraies interrogations quand on donne : est-ce qu’on donne des vêtements troués, des collants filés ? des tee-shirts tachés ?

Sur tout le flou qu’on peut avoir quand on est donneur de vêtements, c’est très simple on peut tout donner au Relais. TOUT. Il y a juste une exception ce sont les vêtements qui présentent des taches de produits chimiques, tout ce qui peut être toxique en fait, si vous avez un vêtements imbibés, ça c’est déchetterie.

Car on a une catégorie importante dans la partie recyclage qui utilise les vêtements comme isolant, donc ça parait logique, et puis une autre qui transforme ces linges recyclés en chiffons industriels, de la même manière les gens qui les manipulent ne doivent pas être en contact avec des produits dangereux. C’est LA seule exception, sinon c’est TLC = textile, linge de maison, chaussures, on les prend dans tous les états puisque c’est notre mission.

Et quand je parle de Mission, c’est le mot juste, recycler tout ce linge c’est un boulot monstre qui n’est pas du tout lucratif. Certaines activités nous coûte : on vend en recyclage 5€ la tonne pour certaines catégories et on paye le transport, sachant tout le travail qu’il y a déjà au niveau de la collecte et du tri, le calcul est vite fait.

[RDP] Il n’y a pas moyen que ça évolue, pour que vous rentriez dans vos frais ?
Ca c’est un travail en interne , mais on est sur des échelles de prix très basses donc même si tu doubles le prix, cela ne sera pas lucratif et tu pourrais ne plus trouver de débouchés…

Le recyclage est vraiment une activité non rentable, donc il faut une activité commerciale en face pour équilibrer le tout. Ça fait 12 ans que l’on existe à Bordeaux et cette partie là est toujours complexe, on essaye d’avancer main dans la main avec des bureaux d’étude pour essayer de nouer des partenariats avec des acteurs de la construction, il y a déjà le Métisse qui existe, une gamme d’isolant thermique lancée par le Relais en 2007.

Il y a des choses très inspirantes comme ce que fait Clarisse Merlet avec la FabBrick, elle compresse du textile défibré qu’elle encolle et les transforme en Briquette, ça a un aspect très chouette qui ressemble au Métisse. Et ça peut servir d’isolant phonique mais aussi comme c’est visuel, de revêtement (déco). FabBrick est par exemple en partenariat avec Jules (prêt à porter masculin), ils fournissent le textile à recycler et elle transforme le tout en briquette pour décorer les boutiques.

C’est encore à une échelle anecdotique et ça reste décoratif, mais l’idée ce serait d’arriver réellement à développer une solution dans cette veine qui soit à la hauteur de nos tonnages.

[RDP] Vous, votre cœur de métier c’est le tri et la valorisation du textile, mais face à tous ces défis est ce que vous imaginez internaliser certains débouchés du recyclage : créer des isolants vous mêmes ? développer des solutions innovantes à partir de tous ces textiles ?

Ce serait possible pour une structure qui serait déjà viable économiquement depuis longtemps et pourrait réinvestir dans une nouvelle branche, avoir suffisamment de bénéfices pour investir en R&D. Aujourd’hui ça n’est pas possible, mais c’est tout l’intérêt de la SCOP = réinvestir tous les bénéfices au profit du développement.

Par exemple une entreprise comme le Relais Madagascar, a choisi de réinjecter ce qui a été gagné dans des développements basé sur de l’opportunisme positif, c’est-à-dire que là-bas ils sont tombés  sur une usine de carrosserie automobile qui avait fermé et bien ils l’ont réinvestit et ils font de la carrosserie, ils cultivent aussi du riz, ils n’ont pas de limite, ils veulent créer de l’emploi donc ils foncent.

[RDP] Nathanaëlle, pour mieux comprendre ton engagement dans ton poste ici au Relais Gironde, peux-tu nous expliquer ton parcours et comment tu en es arrivée là ?

J’ai grandi à Toulouse dans une famille de 5 filles, donc avec cette culture des fringues qui passent de sœur en sœur, j’ai donc un rapport à l’objet de seconde main totalement décomplexé 😊 , c’était dans notre culture la fripe, la solidarité, l’entraide.

Coté parcours, j’ai mixé pas mal de choses : le social, le créatif et disons le commercial ou plutôt la collaboration. Ça a mis un peu de temps à prendre forme, au départ je travaillais dans l’accompagnement de handicapés mentaux, j’ai aussi fait plein de boulots un peu nazes et puis à un moment donné j’ai fait une école d’art, donc là c’était un autre monde, plein de gens passionnants, des soirées en veux-tu en voilà, donc une période très inspirante pour moi.

Cette époque a ouvert mes perspectives, cassé mes limites, ça a développé mon imagination.

Et puis rapidement je me suis tournée vers le Relais, j’avais envie de donner de la matière à tout ce qui m’animait.

[RDP] Ah oui donc tu avais identifié le Relais déjà à cette époque, on est en quelle année, resitue nous ?

On est en 2008, je sors des Arts Déco de Strasbourg et je rejoins le Relais Est à Strasbourg. Le projet que je soumets au Relais à ce moment-là c’était de proposer des emplois d’insertion par l’Upcycling : la couture est bon moyen de valoriser des femmes en difficulté. Beaucoup de femmes savent coudre même avec peu de qualifications. Si au départ cette idée de « femme = couture + cuisine » paraît dévalorisante ou d’un autre temps, l’idée est justement de permettre à ces femmes d’utiliser cela comme une force et de trouver un emploi.

J’ai commencé à me poser les questions du qui fait quoi etc, j’avais fait un saut au Salon de la Mode Ethique en 2009 et découvert le travail de Sakina M’sa une créatrice qui bosse avec des publics défavorisés, ça parlait donc de tout ça déjà à l’époque : l’upcycling, la couture comme emploi d’insertion etc.

A cette occasion, j’avais aussi rencontré Pierre Duponchel et Lucie Contet. Lucie commençait à développer le Métisse à cette époque d’un point de vue commercial et Pierre Duponchel, le fondateur du Relais, qui à l’époque ne voulait pas entendre parler de mon projet (rires).

[RDP] Ah oui d’accord, donc le Relais à l’époque était déjà structuré comme aujourd’hui avec des emplois d’insertion, mais toi tu arrivais avec l’envie d’ajouter une brique, celle vraiment de l’upcycling, d’embaucher des femmes qui cousent pour transformer le linge collecté et le revendre c’est ça ?

Oui je voulais développer un autre outil d’embauche en quelque sorte, avoir un atelier de confection avec des créateurs qui viennent en résidence, mais ça n’était pas le bon timing pour ce projet et puis je l’ai compris après coup, mais pour l’interne, ça n’était pas au Relais de développer un truc comme ça, ce sont des initiatives qui doivent être créées par des entrepreneurs et soutenus par le Relais. Mais pousser cette idée, rencontrer l’équipe du Relais, montrer ma motivation, m’a permis d’approcher cette équipe et d’avoir un pied dans la porte si je peux dire !

Parce que bon c’est une question de rencontre …. Au milieu de tout ça, je suis tombée sur Ludovic Ferez , le responsable du Relais Est et lui ça lui a bien plu mon histoire et il m’a proposé de partir sur un projet plus proche du Relais, mais qui me correspondait : monter une friperie vintage qui alliait à la fois vintage et artisanat burkinabé, hihi oui c’est drôle. Pourquoi ? car Ludovic avait monté le Relais là-bas et souhaitait mettre en avant l’artisanat local avec lequel il avait noué des liens. Voilà donc un projet plein de compromis mais qui prenait vie !

On a donc appelé cette boutique Le Léopard, ça marchait bien pour ce mix improbable et ça a été une aventure absolument géniale. Car j’ai commencé à en parler activement à Ludovic fin 2008, fin octobre je rentrais en période d’essai et en avril 2009 on ouvrait la boutique. Donc c’était top, on a commencé par trouver un local commercial en plein centre de Strasbourg, après il a fallu faire le stock, donc j’étais à l’usine pour créer ce stock et former les gens sur le tapis de tri à faire une sélection pour la boutique, la déco, la com’ ! Tout quoi ! C’était top, et la boutique existe toujours.

Le Léopard, friperie solidaire fondée par Nathanaëlle Pineau pour Le Relais Est

[RDP] Cette expérience t’a donc permis de créer un poste sur mesure, non ? tu y as travaillé combien de temps ?

Ah oui là je me suis fait plaisir ! L’aventure a duré 4 ans, c’était de belles années !

Et puis après ces 4 années et un bébé, avec mon compagnon on a quitté l’Est pour la Gironde et on est arrivé à Bordeaux, on a été super bien accueillis. A l’époque, une des premières connexions que nous avons eu était le groupe qui préparait Darwin (un lieu alternatif et foisonnant de Bordeaux), donc des gens super motivés, des pionniers. Là aussi très inspirants.

Pendant 2 ans j’ai porté un projet de mutualisation toujours autour de la Seconde Main et de l’insertion, concrètement faire travailler ensemble des structures du réemploi de la région de Bordeaux et tenter de créer un lieu unique… et c’est ce projet qui finalement me fera retomber quelques années plus tard sur le Relais… Gironde !

Découvrez la suite de notre échange avec Nathanaëlle ici.

2 Replies to “De la collecte à l’upcycling du textile – Rencontre avec Nathanaëlle (2/3)”

  1. Camille says:
    1. Lucie says:

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