Dernier article de notre échange avec Nathanaëlle Pineau (voir articles précédents), on revient sur son parcours, son job et les initiatives qui donnent le LA de ce que pourrait être la seconde-main du futur.
[RDP] Tu arrives donc à Bordeaux en 2012, suite à tes 4 années à gérer la friperie Le Léopard de Strasbourg, que se passe-t-il à ton arrivée ici coté Pro ?
Pendant 2 ans j’ai porté un projet de mutualisation toujours autour de la Seconde Main et de l’insertion, concrètement faire travailler ensemble des structures du réemploi de la région de Bordeaux et tenter de créer un lieu unique… Pour optimiser les ressources, mais aussi parce que ça a du sens de se fédérer.
Ce qui me tenait à cœur dans ce projet, c’était de réussir à avoir un lieu de vente où tu peux trouver de tout en Seconde-Main, ouvert sur de larges horaires, accessible en transport en commun ou assez central, pour que chacun puisse y aller ; et y trouver autant des fringues, des verres à pied, des poussettes … bien achalandé, bien géré. Aujourd’hui, les acteurs sont trop disséminés, si tu veux faire tes courses 2nde main , il te faut 3 jours !!! Si on veut que les gens s’y mettent sérieusement, il faut faciliter l’accès à la seconde main pour le grand public : avoir une zone commerciale permettrait d’avoir une synergie énorme.
[RDP] Et aujourd’hui ce projet existe encore ?
L’idée vit toujours mais ce n’est plus le même projet. Aujourd’hui c’est Marion Besse, qui dirigeait le Relais Gironde, qui coordonne un projet qui s’appelle IKOS. Ils sont activement à la recherche d’un lieu. C’est un projet d’usine et de lieu commercial partagés. On peut déjà soutenir le projet (en signant le formulaire en bas du site) !
[RDP] Et en France est ce qu’il y a déjà des initiatives du style ?
Alors il y a le SmicVal à Libourne, qui a monté le SmicVal Market et propose au public de déposer des objets pour en prendre d’autres en échange, de la même façon les Ecossolies à Nantes ont monté le Comptoir du Solilab qui propose des vêtements, accessoires et petits et gros électroménagers en vente dans un même lieu. Voilà de belles initiatives, pour moi c’est LA direction à prendre pour que demain notre planète aille mieux, il faut faire avec ce qui existe déjà.
Faciliter la démarche pour les gens, trouver des lieux centraux, il faut juste que des Maires soient un peu visionnaires et veuillent bien faciliter l’accès à des surfaces en centre-ville pour des structures de l’ESS. Il ne faut pas que ce soit un boulot à temps plein de se vêtir, faire des courses de seconde main, il faut que ce soit facile et là les gens auront vraiment le choix. Et puis comme tu le disais, de donner envie, faire du beau avec du vieux. Là le travail qu’on fait avec pas mal de créateurs justement au Relais c’est de donner envie de faire différemment, montrer que c’est possible, de retravailler cet existant dont on va devoir se suffire. Il y a des façons sexy de les valoriser et donc de donner envie.
[RDP] Totalement en phase, d’ailleurs c’est ce dont on parlait avec Justine de MinouBonjour justement, faire du beau c’est le gros challenge, c’est ce qui fera que le public s’y mettra.
On était sinon sur ton parcours, que s’est il passé suite à ce projet ?
Oui donc ce n’était pas le bon timing pour ce projet, et puis j’ai eu pas mal de changements dans ma vie et la nécessité de retrouver un poste rapidement est arrivée, je n’avais pas vraiment prévu de retravailler au Relais, mais comme je les connaissais bien, ils avaient un projet de monter une boutique et j’ai pu les accompagner la dessus, j’ai passé un temps en boutique , retrouver un peu d’équilibre et puis au fur et à mesure c’est apparu comme une évidence, en fait ce qui me plait c’est vraiment d’être présente au moment où tu dis « ça ça va là, ça ça va là » … et ça c’était l’atelier de tri. Ce poste permet de rencontrer des personnes passionnantes et je continue d’avoir les mains dans la matière, j’adore ça, un boulot au quotidien en équipe, des gens qui passent, qui vont qui viennent, parfois des supers rencontres, et puis c’est chouette de rendre ce travail-là un peu plus sexy pour les gens qui y travaillent. C’est un boulot dur, donc d’avoir de temps en temps des missions à leur donner : mettre de côté des motifs spéciaux, des teeshirts, etc …. Ce sont des petites choses qui donnent des objectifs et leur permettent de mieux comprendre la raison d’être de notre travail, donner encore plus de sens.
[RDP] Tu as combien de créateurs dans ta petite besace ?
Pas mal en fait, après il y a des gens qui viennent super souvent, d’autre non, on a des créateurs, des événements, de beaux festivals qui sont fidèles et reviennent, c’est une belle communication pour nous, ça dépoussière l’image du Relais. Au global, j’ai dû accompagner une centaine de pros.
Dans ma clientèle, tu as des créateurs, mais aussi des friperies, des boutiques de Prêt à Reporter plus classiques, auquel je vends les retours de boutiques (boutiques Ding fring du Relais). Pour les créateurs, eux ils viennent trier dans une présélection, c’est ça notre/MA valeur ajoutée, c’est une étape cruciale que nous savons faire et que je valorise au mieux. Si les créateurs arrivaient et devaient faire leur sélection sur le tapis de tri ce serait une toute autre histoire !
Donc moi je chine pour eux, tout en bossant j’ai la gamme de couleurs en tête ou le style et je vais leur faire une présélection, si la recherche est super précise comme par exemple « des chemises vertes » bon là je peux déléguer à une personne sur le tapis de tri.
Il y a d’une part la matière qu’on sauve grâce à ces créateurs, ce ne sont pas des quantités folles bien sûr, c’est plus pour l’exemple et la communication. Pour exprimer le fait que c’est possible de fonctionner comme ça et que c’est souhaitable, que demain peut être comme ça. Donc il y a une raison commerciale, mais aussi de communication.
[RDP] Oui y’a vraiment un côté Caverne d’Ali baba, on peut trouver des choses inimaginables en grande quantité en peu de temps, pour que les gens comprennent il faut que je leur raconte l’anecdote de la collection de rats, qui me parait assez emblématique ! Donc la première fois que je t’ai rencontré Nathanaëlle, j’ai découvert sur le bureau de ton collègue une collection d’au moins 30 rats en peluche Ratatouille, de toutes tailles, et donc toi de m’expliquer que ton collègue en avait mis 1 un jour sur son bureau et qu’après, dès que vous en trouviez un, vous lui rapportiez. On parle de la peluche Ratatouille, ça n’est pas « Elsa de la Reine des neiges », eh ben en passant quelques jours au Relais, on peut trouver 30 rats Ratatouille… c’est drôle, y’a un côté amusant vraiment, mais aussi un côté flippant tellement ça évoque bien les quantités qui arrivent ici pour que cette probabilité existe.
Oui et c’est comme ça pour tout. Et imagine si on prend les Jeans, tu ne peux imaginer la quantité de jeans qui nous arrive chaque jour, STOOPPPPPPP, arrêtez d’acheter des jeans, même s’ils sont écoresponsables, il y en a des tonnes qui existent déjà…. Il y a beaucoup d’intelligence dans tout ce qui concerne la production vertueuse de fringues OUI, MAIS ça reste de la production et donc ça n’est pas vertueux.
[RDP] Le Relais ce sont aussi les boutiques Ding Fring notamment présentes sur tout le territoire, est ce que vous avez senti un vent nouveau ces dernières années compte tenu de la prise de conscience et de la tendance vinted/leboncoin/la seconde main généralement ?
Il y a tellement de paramètres sur la réussite des boutiques que c’est difficile à dire, en revanche les boutiques marchent bien globalement, on a vraiment des équipes engagées depuis ici au tapis où les équipes de trieuses sélectionnent les produits boutique et catégorisent en détail : il y a 23 catégories donc c’est un travail de fourmi « bermuda homme » , « haut femme basique été » … mais une fois que cette étape est faite, cela facilite grandement le travail des boutiques qui peuvent commander ce dont elles ont besoin.
[RDP] Si aujourd’hui quelqu’un veut travailler avec le Relais sur un projet, comment cela se passe ?
Je fais visiter l’atelier, on parle du projet et on détermine comment on va travailler ensemble. C’est super simple. En ce moment, je réfléchis à une façon de vraiment formaliser les partenariats, car il y a des clients pour qui je chine en gros, donc c’est de la matière mais aussi un service et comme nous sommes un acteur spécifique avec une mission solidaire, il faut que tout le monde joue le jeu et paye notre travail au juste prix. Côté communication, je travaille sur le développement d’outils pour que nos partenariats soient plus visibles, avec par exemple un label « en partenariat avec le Relais » , il faut qu’on valorise ces partenariats et qu’on fasse comprendre notre mission et notre philosophie au plus grand nombre.
[RDP] Si tu avais quelques projets que tu suis à nous partager, ce serait lesquels ?
- Déjà le travail de Steven Monteau au Volcan à Bordeaux (rue bourbon), c’est un lieu alternatif qui propose des espaces à louer pour des entrepreneurs de l’ESS surtout (Low tech bordeaux, Precious Plastic Bordeaux …) , un bar associatif, des espaces de tournage, de shooting, un réparateur de vélos, et des soirées de rencontres thématiques, il faut suivre ce genre d’initiatives.
- La Vie Moderne un studio de Création textile à Bordeaux
- La beauté du travail de la créatrice Carla Talopp
- Les Ecologirls, un groupe de Bordelaises avec plein d’idées et d’initiatives positives.
[RDP] Merci beaucoup Nathanaëlle, cet entretien a permis de mieux comprendre l’ampleur de votre mission au Relais, mais surtout de nous partager ta vision sur la place que doit avoir la SECONDE MAIN dans notre vie future. A très bientôt !